Journée d'études octobre 2017 (2/2)
Maryse Adam-Maillet – Le mot "juste" autour de "Juste la fin du monde".
Juste la fin du monde n’est pas seulement un titre original. Maryse Adam-Maillet propose de le lire comme la matrice du texte et sa condition de possibilité, de lui attribuer une complète puissance heuristique, de donner à « juste » toute sa valeur de réglage. La comparaison avec le récit inédit des Adieux, rapportée au laboratoire du Journal permet de comprendre à la fois la difficulté extrême de l’écriture de la pièce ainsi que le caractère radical et ultime de ses enjeux. L’opération dialectique qui le fonde et dont Juste la fin du monde écrit la formule par autonymie constitue pour Jean-Luc Lagarce une solution élégante et subtile pour sortir de l’aporie créatrice. Dans cette perspective, « la fin du monde » est le thème, « juste » le rhème, qui fait de toute la pièce une affaire rhématique. Une telle interprétation permet de ne pas souscrire à la doxa de la parole empêchée et incite au contraire à lire Juste la fin du monde comme le lieu d’une parole renforcée capable d’atteindre parfaitement ses cibles, ayant renoncé à l’hybris de la justice au profit du travail de la justesse.
Lydie Parisse – De "Juste la fin du monde" au "Pays Lontain", processus d’écriture et négativité.
Entre Juste la fin du monde et Le Pays lointain, le jeu des réécritures met en place des dispositifs soumettant le protagoniste principal à divers modes de semi-effacement, le contraignant au silence dans la première pièce, lui confisquant une grande partie de ses répliques, prises en charge par d’autres personnages dans la seconde pièce. Tout comme Le Pays lointain dévoile les coulisses d’un récit et d’une pièce en train de se réécrire, tout le théâtre de Lagarce met en scène une écriture en train de se faire (défaire ?), et prend pour thème le processus créateur. Or, l’écriture est liée à l’empêchement, à la difficulté, s’inscrivant dans une tradition littéraire ancienne, celle de l’impuissance créatrice. Juste la fin du monde est un texte au centre d’un processus, qui, des six tentatives romanesques avortées à la dernière pièce testamentaire, et au Journal, qu’il soit textuel ou audiovisuel, fait de toute écriture une réécriture, de toute image un art de la soustraction, de tout acte de création un acte de décréation. Nous nous proposons d’exposer les éléments de cette herméneutique – de l’image, de l’écriture à partir de Juste la fin du monde.
Hélène Kuntz - "Juste la fin du monde" de la scène à l’écran.
En France, Juste la fin du monde a fait l’objet de plusieurs mises en scène importantes, notamment celles de Joël Jouanneau (Théâtre Vidy-Lausanne, 1999) et de Michel Raskine (Comédie-Française, 2008). Placées en regard d’une analyse dramaturgique de la pièce de Jean-Luc Lagarce, ces mises en scène révèlent la richesse des potentialités scéniques de Juste la fin du monde. La création française de la pièce par Joël Jouanneau a été l’occasion d’une reprise de sa mise en scène de J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne. Ainsi montées en diptyque, les deux pièces pourraient n’être que des rêves : du moins la scénographie abstraite qui donnait son cadre à la mise en scène de Joël Jouanneau et le plan incliné qui dénaturalisait les mouvements des acteurs laissaient-ils ouverte la possibilité d’une telle interprétation. Michel Raskine a accueilli le spectacle de Joël Jouanneau au Théâtre du Point du Jour qu’il a longtemps dirigé à Lyon. Dans sa propre mise en scène, presque dix ans plus tard, de Juste la fin du monde, sans décor, simplement avec quelques chaises d’école sur les dossiers desquelles figurent le nom des acteurs, la pièce de Lagarce exhibe sa théâtralité. Mais il s’agit moins pour Michel Raskine de jouer avec les codes du théâtre que de créer un effet de proximité entre la scène et la salle. D’emblée construite par le jeu devant le rideau de scène, ou par la projection d’une vidéo montrant en gros plan le buste de Pierre Louis-Calixte, l’acteur qui joue Louis, torse nu, cette proximité sensible est renforcée par les moments où les acteurs s’adressent au public, dans un rapport très intime. Ces deux mises en scène de la pièce de Jean-Luc Lagarce, qui en actualisent, sur des modes différents, les potentialités scéniques, seront confrontées à l’adaptation cinématographique de Xavier Dolan.