Portrait de famille, une histoire des Atrides

Portrait de famille, une histoire des Atrides
Image du spectacle

Portrait de famille

Jean-François Sivadier

Grande fresque théâtrale inspirée des textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, de Sénèque, Portrait de famille revisite avec ludisme l’histoire épique et tragi-comique des Atrides. Une histoire où, dans l’éternel affrontement des hommes et des dieux, se confondent toujours le fantastique et le politique, l’intime et l’universel. Sacrifices, infanticides, parricides, viols, incestes, cannibalisme : tous les coups sont permis dans cette famille qui, pour laver son linge sale, ne fait jamais dans le détail, « œil pour œil, sang pour sang ». Une matière inépuisable et proprement délirante, qui donne à Jean-François Sivadier l’occasion d’un théâtre généreux, exigeant et populaire, avec un texte écrit sur mesure pour quatorze jeunes interprètes du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris.

  • Présentation pédagogique du spectacle

Entretien avec Jean-François Sivadier

Propos recueillis par Agathe le Taillandier pour le Festival d'Automne

Pourquoi avoir choisi de travailler Les Atrides – à partir des œuvres de Sophocle et d’Eschyle - avec vos jeunes comédiens ?

Jean-François Sivadier : J’ai eu l’occasion de constater en travaillant avec des jeunes comédiens qu’ils sont souvent plus attirés par des langues, des problématiques, qui leur semblent à priori lointaines, qui sont susceptibles de les transformer, de les déplacer, plutôt que par celles qu’ils
sont à peu près sûrs de maîtriser assez vite. Je me souviens, par exemple, avoir travaillé à l’école de Rennes sur Phèdre de Racine et Hippolyte de Garnier. Je pensais que les jeunes acteurs se reconnaîtraient plus immédiatement dans la syntaxe et le vocabulaire de Racine mais ce
qui leur plaisait, en fin de compte, c’était le mystère du texte de Garnier. Ils l’envisageaient comme une langue étrangère, parfois incompréhensible, mais dont ils sentaient que la puissance qui les dépassait risquait, au bout du compte, de les rendre plus heureux, y compris dans
le risque de ne pas y arriver. Nous avons choisi de travailler sur les Grecs pour s’offrir le luxe d’un monde trop grand, pour se mettre devant une montagne et s’intéresser plus à l’expérience qu’au résultat. Et, par ailleurs, ce sont des pièces, des histoires invraisemblables, qui peu-
vent convoquer toutes les formes possibles.

Quels éléments fondateurs de ce grand mythe souhaitez- vous conserver ?

Je ne sais pas encore précisé ment parce que nous n’avons pas commencé véritablement à travailler, mais à priori, j’aimerais prendre comme socle de travail, l’Electre de Sophocle qui raconte, entre autres, l’assassinat d’Egisthe et de Clytemnestre par Oreste. Et, à partir de là, nous irons sans doute chercher, du côté d’Eschyle, d’Euripide en passant, sans trop de scrupules, d’un auteur à un autre, ce qui a pu se passer avant et après, sachant que les versions des faits varient selon les pièces et les auteurs. Mais ce sont, avant tout, les partitions que l’on va dessiner pour les acteurs qui vont conduire nos choix.

Dans quelle mesure ces textes sont ils une matière de jeu aujourd’hui pour vous, metteur en scène, et pour des acteurs ?

Ces textes permettent, appellent toutes les formes, tous les traitements possibles. L’imaginaire qui s’en dégage ouvre un champ illimité de possibilités. Et avant tout la langue elle-même, organique, épique, poétique, politique, la façon dont elle passe du récit au dialogue, du sublime au trivial, du poème au cri, tout cela est une matière de travail inépuisable pour les acteurs. Tout comme le plaisir de traverser des histoires inouïes. Comme celle, dans cette famille à géométrie variable, les Atrides, d’une guerre interminable, dont chaque combattant ne cesse de redéfinir le motif, de réinventer l’origine, en déclinant, jusqu’au non-sens, le syndrome du “c’est pas moi qui ai commencé”. Une famille d’enfer qui, pour laver son linge sale, ne fait jamais dans le détail. Entre la mémoire d’un crime passé et l’instance d’un crime à venir, dans un monde dominé par un Olympe, surpeuplé d’une ribambelle de divinités toujours prêtes à exiger un sacrifice pour relancer la machine, chaque protagoniste s’avance sur scène, dans l’angoisse d’être le prochain sur la liste. Hèlène, Oreste, Agamemnon, Clytemnestre sont autant de ramifications d’un arbre généalogique aux branches enchevêtrées, toujours susceptibles d’être élaguées d’un coup de hache.
Tout cela est l’occasion d’un théâtre où l’on peut avoir l’impression quelquefois de croiser Shakespeare, Brecht, Strindberg, dans une arène, une piste de cirque, un tribunal, un champ de bataille ou une sordide arrière-cour.

Les Atrides, véritable saga familiale, ce sont aussi des textes profondément liés au politique et à ses tensions ? Comment abordez-vous cette dimension sur le plateau de théâtre aujourd’hui ?

En essayant d’éviter, le plus possible, les codes de la grand-messe tragique, la compassion, la contemplation par exemple et en essayant de
montrer que, dans ce théâtre-là, les idées ont un corps et que le débat, comme centre de gravité des textes, inclut systématiquement un troisième interlocuteur qui est le public. En cherchant à exposer clairement les questions aux spectateurs. En montrant que, même au comble de la douleur, les protagonistes gardent la capacité de théoriser, d’argumenter, de défendre leur point de vue ; que la douleur d’Oreste, d’Electre ou de Clytemnestre n’est jamais plus importante que la joie de prendre la parole et de mettre des mots sur ce qui leur arrive. Enoncer des questions comme “Faut-il qu’un homme soit tué pour un autre ? Est-il juste de tuer au nom d’une cause quelle qu’elle soit ? Faut-il venger le mal par le mal ?...”, ça ne veut pas dire que le corps s’absente. Comment un corps peut être traversé totalement par une idée ? Il n’y a rien d’autre à éprouver quand, par exemple, deux sœurs, en danger de mort, Electre et Chrysotémis, s’affrontent autour de la question, quasi brechtienne : “Faut-il combattre frontalement un pouvoir tyrannique, jusqu’à risquer la mort, ou feindre la soumission et, par la ruse, continuer à résister en continuant à vivre ?”

Comment ces tragédies ouvrent-elles un espace au comique et à une certaine forme de trivialité, de quotidienneté ?

D’abord, dans ces pièces, le destin des peuples est souvent réductible à des histoires totalement triviales, voire anecdotiques, déclenchées par
des Dieux qui, eux-mêmes s’accordent ou se désaccordent selon leurs petites guerres, leurs réconciliations, leurs jalousies ou leurs ambitions. C’est un adultère presque banal qui déclenche la guerre de Troie ; Iphigénie meurt à cause d’un problème de météo fomenté par une déesse vexée qu’ Agamemnon n’ait pas cité son nom à l’occasion d’un sacrifice. On a toujours le choix, ici, de pleurer, de rire, de rester critique quant à ce que l’on voit sur le plateau. Et puis c’est aussi un théâtre de l’excès, de la démesure, rempli de situations quasi-injouables.
Quand Thyeste apprend qu’il vient de manger ses enfants ou quand, dans Oreste d’Euripide, Electre, Oreste et Pylade, en cinq minutes passent de l’idée du suicide collectif à celle d’assassiner Hélène et de prendre sa fille Hermione en otage avec l’intention de l’égorger devant son père, on a le droit de trouver que la boucherie, même plausible, est à la limite de l’indigestion. Dans des histoires où se confondent à ce point, le sens politique et les affects des uns et des autres, les histoires de famille et les intérêts du peuple, les affaires de l’état et l’intérêt personnel, les problèmes des Dieux et ceux des hommes, on arrive rapidement à des situations où la comédie se confond avec la tragédie. Les auteurs n’en sont évidemment jamais dupes et ils passent leur temps à mettre dans la bouche des protagonistes ce qu’il faut d’ironie pour que tout cela reste digeste.

Vous défendez un théâtre très physique dans lequel le corps de l’acteur a une place centrale. Comment amenez- vous ces jeunes acteurs à un engagement corporel total ?

En leur parlant obstinément du corps de la langue. Du fait que la langue pour construire un espace a besoin du corps de l’acteur tout entier. Que,
dans ces textes, les corps sont agis autant qu’ils agissent.
Que la pensée n’est jamais purement intellectuelle mais qu’elle s’énonce toujours à partir d’un corps traversé, ravi, ravagé, exalté, par quelque chose qui le dépasse. Qu’aucune arrière-pensée ne vient contrarier la pureté du mouvement qui projette dans le verbe, le corps tout entier. Tout ça ce sont des mots mais les jeunes acteurs, je crois, n’aspirent qu’à ça au fond ; oublier la psychologie, la conversation, la banalité et se laisser transformer par un texte qui va les faire grandir. J’aime beaucoup l’idée de Novarina qui dit que “la langue appelle plus qu’elle ne nomme”. Il y a là l’idée que c’est avant tout la parole qui agit. Elle n’explique pas, ne commente pas quelque chose qui existe, elle invente, elle appelle quelque chose
qui n’existe pas. Je pense souvent à cette phrase de Gabily : “la langue ne sert à rien mais tout doit servir la langue”.

La scénographie que vous imaginez sera t-elle un espace de jeu mobile comme dans grand nombre de vos mises en scène ?

Je ne sais pas encore. On va surtout essayer de travailler avec les moyens du bord et chercher un espace qui met les acteurs au centre, en risque, et en valeur. Il n’y a rien de plus beau que l’espace infini que peut ouvrir la présence, la voix, le corps de l’acteur. C’est donc ça je pense qu’il faut accompagner

Quel lien aimez-vous créer avec la jeune génération d’acteurs ?

Je cherche à leur donner le maximum de clés pour qu’ils se sentent, en entrant sur le plateau, non pas comme de simples exécutants, mais
comme des artistes, conscients de ce qui les entoure, du sens de ce qu’ils produisent sur le plateau, de leur responsabilité. Je cherche à ce qu’ils puissent être au bout du compte non seulement leur propre metteur en scène mais aussi celui des autres. Qu’ils puissent se sentir libres et responsables face aux contraintes de la mise en scène, qu’ils trouvent leur liberté dans le texte et non pas à côté. Qu’ils arrivent à sentir que s’ils sont généreux avec le texte, alors le texte leur offrira un espace de liberté incroyable. Et que, contrairement à ce qu’ils semblent penser quelquefois, tout vient non pas de soi mais de l’autre, de l’extérieur, de l’auteur, du texte, du partenaire, de l’espace, du metteur en scène. Et puis que le plaisir n’est pas une fin en soi mais un outil indispensable pour travailler. Enfin surtout, je cherche à me laisser transformer par eux, leur appétit, leur désir, leur imagination, leurs questions. On sait bien que lorsqu’on se retrouve devant de jeunes acteurs on est rapidement renvoyé à nos propres
questions.
 

Podcasts

  • France culture

    "Au théâtre, c'est le spectateur qui fait le montage"

    Agamemnon, Atrée, Clytemnestre, Menelas : tout le monde s'y perd avec cette famille. Sauf Jean-François Sivadier. Pour sa nouvelle mise en scène, l'homme s'attaque - avec humour - à la saga des Atrides, ce flot noir de vengeance et de destins qui traverse l'Antiquité grecque.

Critiques

  • Publik Art
    par Amaury Jacquet

    « Portrait de famille » : la tragédie dans tous ses états

    Cette fresque des Atrides, loin de la solennité tragique qu’elle charrie, se mue sous le regard enlevé et endiablé de Jean-François Sivadier, en une fête théâtrale débridée où le grotesque épouse le politique, l’intime et l’universel, la vérité et la fiction. Jubilatoire !

     

    Recommandation :
    ☆☆☆☆
  • Télérama
    par Kilian Orain

    “La mythologie grecque est un grand catalogue de contes pour adultes”

    La famille est le lieu de tous les déchirements… Et les Atrides, un sujet inépuisable pour le théâtre. La promo 2023 du Conservatoire national de Paris prend ainsi son envol sous la direction de Jean-François Sivadier et brûle les planches du Rond-Point.

    Recommandation :
    TTTT
    (abonnés)
  • Libération
    par Lucile Commeaux

    Jean-François Sivadier va mythe et loin

    Voici un spectacle d’une monstrueuse ambition, qui entend tout montrer de cette grande famille des Atrides en faisant feu de tout bois, depuis le théâtre antique jusqu’au feuilleton contemporain, en passant par la fable politique shakespearienne, le vaudeville, la tragédie classique, la comédie horrifique et le cabaret.

    Recommandation :
    Sélection de la semaine
    (abonnés)
  • La Croix
    par Béatrice Bouniol

    L’art jubilatoire de la démesure

  • Les Échos
    par Philippe Chevilley

    Les Atrides en quatre heures chrono

    Jean-François Sivadier donne une nouvelle jeunesse aux mythes fondateurs du théâtre antique.

  • Sceneweb
    par Eric Demey

    « Portrait de famille » : Sivadier fait sa fête à la tragédie

    Jean-François Sivadier fait briller 14 anciens élèves de la promotion 2023 du Conservatoire National dans un Portrait de famille, une histoire des Atrides qui concentre en 3h30 toute la violence issue de la folle lignée légendaire.

    Recommandation :
    Coup de cœur
  • Le Monde
    par Fabienne Darge

    Jean-François Sivadier, « accoucheur des possibles de l’acteur »

    L’auteur et metteur en scène, qui signe avec « Portrait de famille, une histoire des Atrides » l’un des meilleurs spectacles de la rentrée, cultive l’éclectisme et se plaît à transformer la scène en espace de plaisir et de joie.

    Recommandation :
    La Matinale
    (abonnés)
  • Snobinart
    par Peter Avondo

    “Portrait de famille”, l’étincelante mythologie de Sivadier

  • L'Œil d'Olivier
    par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

    Sivadier déchaîne la tragédie antique

    Le metteur en scène manceau adapte pour une partie de la promotion 23 du CNSAD la plus épique des tragédies grecques, livrant une relecture déjantée qui déclenche les rires et quelques larmes.

Calendrier des représentations

Le Liberté, scène nationale | Toulon

jeu.12mars 2026
ven.13mars 2026
sam.14mars 2026

Théâtre-Sénart, Scène nationale | Lieusaint

ven.20mars 2026
sam.21mars 2026
dim.22mars 2026

L'Onde Théâtre Centre d'Art | Vélizy-Villacoublay

jeu.26mars 2026
ven.27mars 2026
sam.28mars 2026

La Comédie de Clermont-Ferrand | Clermont-Ferrand

mar.05mai 2026
mer.06mai 2026

Les Célestins, Théâtre de Lyon | Lyon

mer.10juin 2026
jeu.11juin 2026
ven.12juin 2026
sam.13juin 2026
  • Théâtre National de Nice | Nice
    04 juil. > 05 juil. 2025
  • Théâtre du Rond-Point | Paris
    19 juin > 29 juin 2025
  • La Comédie de Béthune | Béthune
    19 mars > 21 mars 2025
  • L'azimut | Châtenay-Malabry
    12 févr. > 13 févr. 2025
  • TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers | Poitiers
    07 févr. > 08 févr. 2025
  • La Coursive | La Rochelle
    14 nov. > 15 nov. 2024
  • Le Carré Sainte-Maxime | Sainte-Maxime
    04 oct. > 05 oct. 2024
  • La Commune - CDN d’Aubervilliers | Aubervilliers
    18 sept. > 29 sept. 2024

Ressource(s)