

Bovary
Au jeu des joutes oratoires jubilatoires
Le procès de Gustave Flaubert de 1856 pour « atteinte à la morale et à la religion » sert de point de départ à cette adaptation. Le directeur du Théâtre national de Lisbonne, Tiago Rodrigues, convoque à la barre la scandaleuse Emma Bovary, son mari, ses amants, Flaubert, l’accusation et la défense et leur donne chair et âme.
Entremêlant procès-verbaux des audiences, correspondances de l’écrivain ainsi que certains passages du roman, la pièce marie librement réalité et fiction. Aux prises avec ses frustrations et ses désirs, l’héroïne de Flaubert envoie valser la bien-pensance. Cependant, derrière le portrait de cette femme libre, Tiago Rodrigues, fils prodige du théâtre européen, dénonce toutes les formes de censures qui tourmentent l’esprit des auteurs, de Flaubert à lui-même. Sur scène, cinq acteur·trices incarnent tous les personnages du roman pour des parties oratoires passionnées et pour le plus grand plaisir des amoureux de la rhétorique et de l’éloquence.
Intention
Le point de départ de Bovary qui sera joué en avril 2016 au Théâtre de la Bastille, est aussi un aboutissement. Je suis appelé à créer une pièce dans une distribution française, à partir d’un texte que j’ai écrit et que j’ai moi-même mis en scène au Portugal en 2014. « C’est une recherche artistique », comme dirait Monsieur Sénard, l’avocat de la défense de Flaubert en 1857. C’est une recherche artistique inédite dans mon parcours.
Cette pièce est tirée du procès dans lequel Gustave Flaubert fut accusé d’attentat à la morale à la suite de la publication de Madame Bovary en fascicules dans la Revue de Paris. Ayant pour base une adaptation libre du procès, elle intègre aussi le roman dans sa structure. Elle fait débattre la loi et la littérature. Elle prône une Babylone de mots : légaux et littéraires, rhétoriques, politiques et poétiques. La possibilité de recréer cette pièce en langue française correspond à un voyage étymologique et intime qui nous conduit à la source du débat de cette pièce : le danger des mots.
Le lien entre la langue, l’histoire et la société française a toujours été extrêmement puissant. Même si chaque mot de ce texte a été écrit à Lisbonne, le premier geste d’écriture a eu lieu à Paris. A Lisbonne, l’actrice Carla Maciel (qui a interprété le rôle d’Emma Bovary dans la version portugaise) m’avait déjà lancé le défi d’écrire autour du roman. Des mois plus tard, lors d’un passage à Paris, en tournée, j’ai voulu rencontrer quelqu’un qui connaissait le roman de Flaubert « de l’intérieur ». « De l’intérieur » comme un spécialiste de l’écriture, mais aussi « de l’intérieur » comme un français. La mère d’une amie est professeur de littérature à Paris et elle a accepté de me rencontrer. C’était au café Saint-Jean, à Montmartre. Quand nous avons convenu du rendez-vous, elle m’a dit que la manière de la reconnaître à la terrasse du Saint-Jean serait de chercher la femme qui aurait un exemplaire de Madame Bovary sur sa table. La conversation que nous avons eue à ce rendez-vous est pour moi le premier jour d’écriture de cette pièce. La façon dont j’ai écrit la suite de Bovary est à l’image du théâtre que je cherche à faire. J’écris en collaboration avec les acteurs. J’entre dans la salle de répétition avec quelques pages qui sont habituellement le début de la pièce. Nous discutons. Nous buvons du café. Nous lisons à haute voix. C’est très important de lire à haute voix. Nous lisons le roman de Flaubert à haute voix. Nous faisons des recherches sur les scandales artistiques et nous débattons de cette riche frontière où se confrontent l’art et la loi. Et la pièce surgit. Chaque matin, quelques pages venaient nourrir la répétition de l’après-midi. Jusqu’au jour de la première, le texte a été ajusté en consultant de façon permanente le roman cité des centaines de fois tout au long de la pièce, tout en pensant au partage de la parole.
Comment faire alors pour partager cette pièce avec des acteurs d’un autre pays, quand elle a été écrite en étroite collaboration avec des acteurs portugais ? Avec des acteurs si proches de mon travail ? Tout en reconnaissant nos affinités artistiques, il est certain que ce n’est pas la même intimité qui me lie à cette extraordinaire équipe française que nous avons réunie. Mais cette distance est compensée par la proximité qu’ils ont avec la langue originale de Flaubert, du pouvoir symbolique d’Emma Bovary, du débat politique français sur la morale, la religion et les bonnes mœurs des années 1856 jusqu’en 2016. L’équipe française connait Madame Bovary « de l’intérieur ». Ce sont 160 ans d’intimité avec la France que cette équipe offre au texte qu’un petit portugais a osé écrire à partir de Flaubert. Voilà ce que sera cette collaboration, et je m’y engage tout en considérant que la pièce que j’ai écrite en 2014 n’est rien de plus que ces premières pages que j’amène habituellement à la première répétition. Il y aura l’espace de tout repenser, et même d’en réécrire la matière. Ce sera un spectacle entierment neuf, construit sur la mémoire d’un travail antérieur. Une nouvelle discussion et et une rencontre créative avec mon propre travail. Le point de départ et l’aboutissement.
Note d’intention, Tiago Rodrigues, Lisbonne, décembre 2014 (extrait)
Issue du dossier pédagogique (Comédie de Béthune)
Critiques
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