Extrait de la préface
Les Miroirs ternis et les flammes mortes
[…] Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;
Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
Charles Baudelaire, « La Mort des amants ».
1. Un couple se sépare ; l’un veut que ça s’arrête, l’autre pas. La situation de base de Clôture de l’amour est si banale que presque tout le monde l’a vécue. Mais
le diptyque inventé par Pascal Rambert transmue cette expérience commune en une joute aussi inattendue dans sa structure – deux tirades longues chacune
d’une heure à la scène – que dans la perspective qu’elle adopte. On chercherait en vain ici une scène de ménage, un règlement de compte, ou l’amorce d’une solution thérapeutique : Audrey et Stan ne ressassent aucun grief, ils ne remontent pas le cours de leur histoire pour en extraire les rancœurs, ils ne fouillent
pas leur passé pour y trouver la clé du présent.
Loin de nous représenter l’acte final de leur histoire comme une conclusion, à partir de laquelle l’amour dévoilerait sa vérité factice, ses illusions fondatrices ou son processus de dégradation, Pascal Rambert nous donne cette confrontation comme un événement absolu : un combat, un duel à mort, un corps à corps de mots.
Dans un espace-temps suspendu – pour la mise en scène de l’auteur, une pièce blanche conçue par Daniel Jeanneteau entre réalisme et abstraction, salle de répétition peut-être, mais aussi, dit Rambert, « chambre de torture » –, tout s’organise autour du coup d’arrêt brutal, cruel, mortel, que l’un porte à la relation ; ce
coup auquel l’autre riposte, presque point par point, sans pour autant – c’est capital – chercher à soustraire cette relation à la mort. Car, paradoxalement, la protestation d’Audrey, brillante, violente, qui fait jubiler dans les salles tous ceux et celles qui ont un jour été quittés, et dont l’impact sur le corps de Stan est tout
aussi radical que l’est sur le sien son attaque à lui, cette protestation débouche sur un consentement. Ce n’est pas par hasard que son il faut nous séparer final résonne avec un vers célèbre de Bérénice.
2. Peut-être une des raisons de la fascination non démentie qu’exerce la pièce sur ses spectateurs depuis sa création en 2011, et de son succès mondial, est (...)