Du Désavantage du Vent
Tant de milles parcourus pour la douceur d'un sein dans la paume. Tant de ronds dans l'eau. A la manière du son, sur le dos des vagues, l'imaginaire de ces marins allant plus loin que leur regard. Un temps différent, une parole précieuse et troublée comme celle d'un enfant sous une tente.
Au commencement, nous avions en main le dictionnaire de la marine à voile, quantité de mots obsolètes ou inusités de notre langue maternelle. Noms d’outils, de manœuvres, descriptions d’accastillage ; termes météorologiques et militaires : un alphabet marin énoncé d’homme à homme. De page en page, en faisant se répondre index et glossaire, d’un mot à l’autre, est apparue une matière singulière à entendre, féminine et amoureuse. Comme si le verbe de ces marins, dans le confinement du lieu de leur travail et de leur mort, s’était insensiblement perturbé pour devenir un parler du manque, un vocabulaire de l’absence. Une poétique involontaire où un marteau a un nom de femme ou de fleur. De ces mots, l’envie nous a pris alors de faire des phrases, des dialogues, puis des scènes. Très librement, faisant fi des définitions du dictionnaire, nous avons décidé des nôtres par assonances phonétiques ou poétiques. Ainsi « l’ourdissoir » est devenu «il’heure du soir », « brumasser » est devenu « irêver » et « la courbe de capucine » nous a naturellement fait penser aux formes d’une jeune fille. Au fil de l’écriture et des répétitions nous nous sommes surpris à parler ce dialecte entre nous, nous l’avons appelé « le navieux ».
Dans la presse
Au commencement il y eut un livre : le Dictionnaire de la marine à voile de Bonnefoux et Paris. Les dictionnaires sont la bénédiction des âmes voyageuses. Et l'amour des mots mène souvent de l'autre côté de l'horizon, là où le sens réel se dilue dans le sens rêvé. Au départ, donc, des mots techniques, des mots étranges, des mots banals, toute une langue familière et étrangère, un imaginaire de la mer, où le cœur se dit aussi la boîte à rosette.
Libération
Un langage à saisir sous un autre langage. Une trahison pudique (pas une traduction), largement préméditée, pour la bonne cause : ouvrir un grand appel d'air entre les hommes et les femmes.
Le Monde