Trois récits (L'Apprentissage - Le Bain - Le Voyage à La Haye)
Trois récits écrits d'après des extraits de son Journal.
L'Apprentissage
Il ouvre les yeux, redécouvre ses sens jusqu’à sa première sortie d’hôpital. Pris entre l'immobilité de son corps et la lucidité de sa pensée. (Texte écrit à la commande de Roland Fichet : un récit de naissance)
Extrait
Je me suis arrangé, peut-être. J'ouvre les yeux et j'invente et plus habile encore, peu à peu, de longues heures à songer à cela, plus habile encore les yeux fermés, inventer et désirer et trouver aussitôt, exactement, avec exactitude, trouver aussitôt, les yeux ouverts, trouver ce qu'on imagina, désira avec tant de force que rien ne pourrait se dérober, manquer ou être absent.
Le Bain
Jean-Luc Lagarce cherche les mots pour dire l’indicible : L’adieu à G. dans ce peu de temps qui lui reste : une nuit et un jour. C’est peu. C’est beaucoup.
Extrait
C'était comme ce fut toujours‚ le souvenir aujourd'hui que j'en garde‚ ce fut‚ le souvenir que j'en garde‚ une nuit très douce‚ très belle‚ une nuit très douce et très belle et le lendemain encore‚ une longue journée à ne plus rien faire‚ dans le lit‚ dans la chambre‚ et le lendemain‚ une bonne et longue journée‚ dans le lit‚ dans la chambre et un long temps‚ un long temps encore‚ tous les deux‚ nos corps trop longs‚ enlacés‚ dans le bain.
Le Voyage à La Haye
Entre tournée théâtrale et séjour à l'hôpital, Jean-Luc Lagarce évoque la vie quotidienne de l'artiste séropositif.
Extrait
C'était une belle et bonne soirée. A minuit, juste après que l'ambassadeur fut parti avec ses acolytes, le secret avait été bien gardé, il y eut un gâteau magnifique, offert par les Hollandais et un cadeau somptueux par toute la troupe du spectacle, un livre d'art très lourd, très beau et volumineux, en deux tomes, dans son coffret. ... J'avais trente-sept ans. J'étais un homme très heureux, et j'étais un homme aimé, je crois cela.