Notes de Beckett sur Geulincx
Ouvrage établi par Nicolas Doutey avec la participation de Eri Miyawaki
Traduit du latin par Hélène Bah-Ostrowiecki et de l’anglais par Nicolas Doutey
En 1967, un critique demanda à Beckett comment aborder son œuvre. L’écrivain, bien en mal de répondre, évoqua tout de même comme possible point de départ la pensée d’Arnold Geulincx (1624-1669). Philosophe flamand méconnu, dont les œuvres ne furent traduites du latin qu’à la fin du XXe siècle, Geulincx aggrave la séparation cartésienne du corps et de l’esprit au point de rendre leur union dans la vie humaine proprement miraculeuse, et défend ainsi une forme d’occasionalisme mystique particulièrement singulière. En 1936, sur les conseils d’un ami philosophe, Beckett était parti à travers Dublin à la recherche de cette œuvre réservée aux « spécialistes ». La trouvant finalement aux fins fonds de la bibliothèque de Trinity College, il sentit immédiatement l’importance de cette lecture, prenant plusieurs dizaines de pages de notes, qu’il conservera avec lui jusqu’à sa mort. Découverte en cette période décisive des années 1930 où se forme « l’esprit beckettien » des grands textes à venir, l’œuvre de « ce vieux Geulincx, mort jeune » (Molloy) va profondément marquer l’écrivain, tant par l’originalité de sa pensée et la radicalité de ses positions philosophiques que par son « beau belgo-latin » (Murphy) qui le place au rang des « poètes-philosophes ».
Ce livre rend disponible pour la première fois l’intégralité des notes de Beckett sur les œuvres de Geulincx (extraites des Quaestiones Quodlibeticae, de la Metaphysica vera et de l’Ethica), dans leur traduction française. Si ces notes parlent d’elles-mêmes à qui est un peu familier de l’univers beckettien, elles sont ici accompagnées de textes se proposant de prendre plus précisément la mesure de la rencontre entre l’écrivain et le philosophe. Quatre articles inédits en français de spécialistes renommés de Beckett (Matthew Feldman, David Tucker, Anthony Uhlmann, Rupert Wood) interrogent les diverses facettes de la présence de Geulincx dans son œuvre : qu’elle se manifeste à travers la reprise et la réélaboration d’images ou de formules geulincxiennes, dans certaines caractéristiques de « l’homme beckettien », ou encore dans sa conception particulière du geste artistique. Un texte de Thomas Dommange complète ces réflexions sous un angle plus philosophique, en proposant de réfléchir à ce que l’approche de Geulincx peut donner à penser aujourd’hui, notamment à travers la notion de grâce, si chère à Beckett dans son travail théâtral. Mis en perspective dans une introduction articulant l’ensemble, ce volume espère ainsi éclairer les principaux aspects de cette rencontre entre l’un des plus grands dramaturges du xxe siècle et cette figure originale et méconnue de la philosophie classique.
Ce volume comprend :
- Une introduction de Nicolas Doutey ;
- Les notes de Beckett sur Geulincx, traduites du latin par Hélène Bah-Ostrowiecki ;
- Matthew Feldman, « “Un engin de destruction adéquat” ? Samuel Beckett et l’Éthique d’Arnold Geulincx », 2009 ;
- David Tucker, « Vers une analyse de Geulincx et du Ur-Watt », 2011 ;
- Anthony Uhlmann, « Le berceau et le rocking-chair », 2006 ;
- Rupert Wood, « Murphy, Beckett ; Geulincx, Dieu », 1993 ;
- Thomas Dommange, « Geulincx ou la mécanique de l’ineffable », 2012.
La presse
En bateau
La fable la plus connue d’Arnold Geulincx se résume ainsi : l’existence de l’homme ressemble à un voyage en bateau ; il peut librement se décider à se déplacer de la poupe à la proue ou inversement, mais il est parfaitement incapable de quitter ce navire secoué par les courants de l’océan...
Sjef Houppermans - Acta Fabula, mars-avril 2013